ARTISTES JUIFS

Marek Szwarc

PAR

LOUIS VAUXCELLES

Editions "Le Triangle" 8, Rue Stanislas – Paris – 6e. (1932)

Il a été tiré de cette édition cent cinq exemplaires sur Velin crème de Vidalon, numérotés de 1 à 105.  

Né en 1892 à Zgierz, en Pologne. Venu à Paris en 1910 et entré à l’Ecole des Beaux-Arts à l’atelier d’Antonin Mercié, pour la sculpture. En 1913, expose pour la première fois une statue, « Eve », au Salon d’Automne.  Pendant la guerre, en Pologne et en Russie, fait surtout la peinture. En 1920, revient à Paris et expose la peinture. Ses œuvres de peintre se trouvent à Paris dans de nombreuses collections.  En 1922, revient à la sculpture. Cette fois-ci, à la sculpture sur cuivre martelé. Expose au Salon des Tuileries. En 1925, exposition particulière chez Devambez, à Paris. La même année, expositions à Anvers et chez Fritz Gurlitt, à Berlin. En 1927, exposition particulière chez Briant-Robert, à Paris. Suivent les expositions à Zürich, Düsseldorf, Cologne, Frankfort, Berlin, Varsovie, Cracovie, Stockholm, Vienne, Chicago et New-York. Acquis par l’Etat français en 1927. En 1928, acquis par le Musée National de Cracovie, par le Hebrew Union College de Cincinnati et par la Bibliothèque Nationale de Jérusalem. Ses œuvres se trouvent dans les collections privées à Paris, Berlin, Cologne, Düsseldorf, Hambourg, Londres, Lisbonne, Anvers, Stockholm, Varsovie, Cracovie, Lodz, New-York, Chicago, Cleveland, Philadelphie et Cincinnati.

Un être pur, cuirassé de sa foi, prie et travaille, dans la solitude. Rien ne le décourage, ni la misère, ni la raillerie, ni les offenses. Son regard droit s’élève et plane. Le bourdonnement des vanités qui s’exaspèrent, le cliquetis des querelles envenimées, le tumulte des intérêts qui s’entredéchirent, ne l’atteignent point.

Dans sa thébaïde, près de sa femme, douce et courageuse, de son petit enfant candide, il bat le métal d’une main experte, forte à la fois et délicate. Il médite sur les pages du Livre. D’entre les feuillets surgissent les immortelles figures d’Abraham, Jacob et l’Ange, le formidable visage de Moïse que Claus Sluter et Buonarotti ont modelé, qu’il sculpte et cisèle à son tour, et le couple de Ruth et Booz. L’artiste les voit, leur parle, les consulte ; son crayon, puis son marteau évoquent leurs peines et leurs joies ; il les recrée, nous les rend présents, sans souci de reconstitution archaïsante ou d’exégèse. Cet être unique se nomme Marek Szwarc.

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J’ai, dans la cohue des peintres, sculpteurs, artisans français et étrangers, autochtones ou déracinés, croissant, végétant ou prospérant à Paris, rencontré depuis trente années bien des types singuliers, différents, exceptionnels : Georges Rouault, moine mendiant du Moyen-Age, frère spirituel de Léon Bloy et de Jacques Maritain, dont l’œuvre violente, naïve et passionnée, crie un mépris misogyne et la haine d’une société décomposée ; George Desvallières, ce mystique guerrier ; le statuaire Manolo, Catalan habile et charmeur, qui conserva le don d’enfance au fond des bouges montmartrois avant d’aller , dans la campagne pyrénéenne de Céret, évoquer les pâtres virgiliens ; Angel Zarraga, tendre et savant coloriste chrétien, âme d’élite, douée d’une culture universelle ; Balgley, graveur et peintre, tempérament exalté, illuminé, d’une puissance orgueilleuse, en qui résonnent les imprécations des prophètes de sa race… En ai-je jamais croisé qui fût comparable à mon très cher Marek Szwarc ?

Lorsque, las des luttes incessantes et du surmenage quotidien, je me rends à son atelier, perdu en un faubourg populeux, à peine ai-je pénétré en cet asile de labeur et de paix, que le calme descend en moi, les nerfs se détendent… Nous ne parlons guère peinture ou sculpture ; Marek Szwarc connait les jeunes maîtres d’aujourd’hui, les juge à leur valeur, d’une appréciation bienveillante toujours et fine. Mais ce cœur évangélique a pour secrète et constante ambition de communiquer ses certitudes à autrui, de vouloir nous amener à la béatitude dont il jouit ; en possession de sa vérité, il brûle de la faire partager aux frères tourmentés. Il sent Dieu l’habiter ; la présence céleste est partout ; il la touche du doigt ; Dieu conduit sa main, son crayon, son marteau. Marek n’a de raison d’être qu’en fonction de cette présence ; il collabore avec Dieu. Et Marek sait que Dieu seul donne la paix à ceux que la paix a fui… Hélas ! Qui, de tous nos contemporains, est plus proche de l’Ange de Fiesole que ce juif humble ? Travailler, c’est prier. Le rêve de Marek Szwarc serait, non l’individualisme orgueilleux, qui est la loi du siècle, mais l’effacement du labeur anonyme. L’esprit des imagiers médiévaux revit en lui. Il est près de ces grands chrétiens, les Henry Cochin, les George Desvallières. « L’art, dit-Desvallières, est un des moyens que la Providence confère à l’homme pour lui permettre de s’épancher. Le plus grand artiste est celui qui s’épanche le plus généreusement et, en nous contant toutes ses misères, toutes ses joies, toutes ses espérances, nous éclaire sur les nôtres. C’est ainsi que tout art pur est à base de prière, et que toute œuvre d’art porte en elle une force apostolique. C’est pourquoi l’art, en servant Dieu seul, donne toute son expression, atteint à sa plus grande perfection ». Et Henry Cochin : « L’art porte en lui la force d’un enseignement ». Ils le savaient bien, ces charpentiers et tailleurs de pierre qui, au quatorzième siècle, couvraient Sienne d’un manteau de fresques ; car ils ne craignaient pas de s’attribuer, en tête des statuts de leur corporation, une fonction sublime, et de s’intituler : « manifestateurs de la vérité. »

Rêve irréalisable au vingtième siècle ? Peut-être…  Mais qui sait ?

Six siècles durant, dans toute l’Europe occidentale, les arts plastiques furent au service de la foi : Memling et l’Angelico, Moralès et Dürer narraient aux murs des églises, des baptistères, des cimetières, des palais communaux et seigneuriaux, les douleurs de la Passion, la piété des saints, la gloire des héros chrétiens ; les images écloses de leurs mains enseignaient les peuples. Une fresque avait fonction éducatrice et morale : c’était une homélie. Selon l’expression significatrice d’un Concile, la peinture était la serve de l’Eglise. « Nous sommes, par la grâce de Dieu, disaient les peintres siennois, ceux qui manifestent aux hommes grossiers et illettrés les choses miraculeuses faites par la vertu et en vertu de la sainte foi. » Et Albert Dürer écrivait : « L’art de peindre a pour fin le service de l’Eglise ; sa mission est de montrer les souffrances du Christ et d’autres bons modèles ».

L’adorable légende chrétienne nous valut les triptyques du Quattrocento, la statuaire bourguignonne, les verrières de Chartres.

Tout cela peut-il resurgir ? D’aucuns l’ont cru.

Que sortira-t-il de ce mouvement d’idéalisme catholique ? Chassera-t-on du Temple les marchands ?

Faut-il répondre à ces vaillants soutiens d’une foi qui décline, qu’une nouvelle symbolique est née, aussi loin de l’anthropomorphisme grec qui peupla l’Hellade de dieux de marbre, que de la croyance moniste ? Qu’une mystique scientifique laisse entrevoir de nouveaux concepts ? Et que l’école des Bénédictins de Beuron, le préraphaélisme de Holman Hunt et de Watts en Angleterre, la Rose-Croix chez nous, se sont brisé les ailes à tenter l’impossible résurrection ?

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L’ « homélie plastique » des manifestateurs de la vérité va-t-elle de nouveau laisser ouïr sa persuasive éloquence ? Ce problème de la résurrection de l’art chrétien nous dépasse et surtout ne nous appartient point ici. Si je l’ai esquissé à propos de Marek Szwarc, Juif, c’est qu’il n’y a point opposition entre les concepts de cet artisan et ceux de ses confrères catholiques. Nul, au contraire, ne s’entend mieux que Marek Szwarc avec Jacques  Maritain ; par des chemins divergents, ils aspirent aux mêmes fins, gravissant les mêmes pentes. Dans la communion des idéaux, ces purs se donnent la main. Ne parlons donc point d’art catholique ou d’art juif, mais d’art religieux. Art juif, ai-je écrit. Voici surgir une autre question, irritante, complexe, qu’il va falloir effleurer. L’art de Marek Szwarc serait-il marqué (d’autres diront taré, adultéré, vicié, gangrené) par le sémitisme ? Et, d’abord, y a-t-il un art spécifiquement juif en 1930 ? S’il en existe un, Marek Szwarc l’exprime-t-il ? La question, de confessionnelle, devient ethnique.

Un art juif… On l’a dit et c’est une observation topique, il n’y a pas au Musée du Louvre un seul tableau signé d’un nom juif, - sauf les deux ouvrages, tout récemment hospitalisés dans le sanctuaire, de Camille Pissarro, qui ressortissent à une inspiration exclusivement réaliste et à une vision de technique impressionniste.

Donc, pas de peintres, ni de sculpteurs ou d’ornemanistes juifs au Musée, du moins jusqu’à nos jours. Il semble démontré que le sens de la couleur, comme celui de la forme, font défaut à la nation élue. Voilà qui paraît irréfutable. Du fond du Moyen-Age jusqu’à notre ère, pas un Juif dans les écoles d’Italie, d’Espagne, de Hollande ou des Flandres. La race obéit au verset de la Bible : « Tu ne feras point d’images taillées ni aucune ressemblance des choses qui sont là-haut aux cieux, ni ici-bas sur la terre, ni dans les eaux sur la mer ».

Au dix-neuvième siècle, quelques Israélites, assimilés, apparaissent : Max Lieberman, Brandon, Israëls, Léon Bakst, mais ils sont encore l’exception dans les ateliers.

Soudain, dès après 1900, et surtout dès après la guerre, telle une ruée de sauterelles, une invasion de coloristes juifs s’abat sur Paris, - sur le Paris de Montparnasse. Les causes de cet exode : la révolution russe, et ce qu’elle a entraîné avec elle de misères, pogroms, exactions, persécutions ; les malheureux jeunes artistes se réfugient chez nous, attirés par le rayonnement de l’art français contemporain. Et voici, près de nos juifs français, de Paris, de Nîmes ou d’Alsace (Caro-Delvaille, Adler, Kayser, Léopold ou Simon Lévy), que débarquent les adolescents de Pétrograd, Cracovie, Berlin, Vienne, Munich. Ils vont constituer un des éléments constitutifs de ce que la jeune critique appellera l’ « Ecole de Paris ». Nombre de talents seront à considérer en cette cohue de métèques ; quelques-uns, même, se feront un grand renom. Et ce sera, - je ne puis que mentionner les principaux- Modigliani, Zak, Pascin, Chagall, Soutine, Balgley, Kars, Kisling, Grünewald, Iser, Feder, Terechcovitch, Milich, Mondzain, Kikoïne, Krémègne, Czobel, Kramstyck, Mané Katz et Maurice Gotlieb, Samuel Hirschenberg, Altmann, les Américains Maurice Sterne et Max Weber, Marcoussis ; Mmes Blum, Muter, Lévy-Bloch. Ajoutez à ces noms de peintres ceux du meublier Chareau, des sculpteurs et graveurs Joseph Hecht, Cavaillon, Kogan, Lipchitz, Zadkine, Nadelman, Loutchansky, Mestchaninoff ; Mme Orloff, Indelbaum, etc.

Et notre Marek Szwarc.

Comment, après le silence deux et trois fois millénaire, expliquer un tel bourdonnement ? Après cette absence, cette carence, une telle pléthore, un aussi gros pullulement ? D’ingénieux esthéticiens, camouflés, pour les besoins de la cause, en moralistes, ont cherché les raisons de ce phénomène singulier. L’un prétend que le goût de la spéculation étant intervenu, on voit accourir les Juifs vers ces professions brusquement devenues lucratives. Il ajoutera qu’à cette influence d’argent s’annexera, se superposera une autre influence, celle de l’Orient sur les Beaux-Arts occidentaux ; à ses yeux, le culte du bariolage, puis de la déformation, de la grimace, de la laideur, seront d’importation judéo-orientale.

Pour tel autre, la clef de l’énigme est en la facilité d’assimilation congénitale. Les Juifs ne s’adonnent aux carrières libérales que depuis leur émancipation, récente dans l’histoire. Et, n’apportant à l’exercice de l’art aucun accent ethnique, ils ne refléteront que la culture du pays où ils vivent. La question d’éducation joue ici un plus grand rôle que l’élément racique. Pissarro est impressionniste, tel autre peintre israélite sera fauve, matissien ou picassien. Il n’y a donc pas d’art juif à proprement parler : l’influence du milieu est seule prépondérante.

Sans nier la sensibilité et l’esprit israélites, on doit convenir que le Juif français assimilé peut devenir un excellent artiste qui ne sera en rien tributaire du Talmud.

Quelle conclusion tirer de ce heurt de théories contradictoires, et surtout qu’en retenir, en ce qui concerne l’artisan dont les ouvrages – et l’âme – forment l’objet de  cette étude ?

On serait assez tenté d’opter pour la thèse de l’assimilation. Les artistes, les écrivains – le critique – juifs, nés à Paris, sont d’abord et toujours gens de France. Qu’ils doivent à leurs origines certaine subtilité d’antennes, soit, - mais pas d’avantage.

L’art de Marek Szwarc est-il juif, au sens où l’entend M. Van der Pyl ? Goût de la déformation, de l’imagerie ? Oui, peut-être, mais la déformation d’un Marek Szwarc est pratiquée et accentuée – comme l’ont compris tous les grands artistes – selon le caractère, et c’est une nécessaire amplification des volumes ; il n’y a rien là qui révèle la marque sémitique : l’artiste se conforme aux lois éternelles. Héritier lointain d’artisans médiévaux, il use d’un graphisme fruste et vigoureux, non point entaché de naïvetés voulues, mais pathétique par la vertu de l’émotion religieuse que ce mystique ressent et veut communiquer. Parler de grimace, de bariolage oriental à propos des ouvrages sévères de Szwarc serait une plaisanterie sacrilège. Oriental ? Soit, puisque Szwarc est adonné à la figuration des thèmes bibliques.  

Mais que signifieraient, en outre, ces expressions : « Art facile, arrivisme, soif du lucre », etc ? Elles n’ont pas cours dans l’atelier où nous voyons œuvrer notre ami. Son désintéressement est aussi pur que profond son éloignement des puissants ; il n’appartient à aucun groupe, ne fréquente aucune antichambre, aucun bureau de revue d’art, aucune Rotonde. Il a fait vœu de pauvreté et de solitude.

Assimilé ? Non. Et c’est un cas assez exceptionnel : Marek Szwarc, Polonais de Paris, Parisien de Lodz, aime, sent, comprend, vénère la France, la culture et l’art de France, mais il entend obéir à la tradition des ancêtres et demeurer Juif de cœur, de foi, de sentiment. S’il n’y a en France qu’un artiste et une œuvre représentant l’art juif au même titre que les vers de Spire ou la prose de Fleg sont de la littérature juive, je nommerai Marek Szwarc plutôt que Balgley l’illuminé, ou Laurence Lévy-Bloch, cette Louise Hervieu de la rue des Rosiers. Balgley admire la Bible pour sa beauté ; Szwarc la chérit pour sa vérité ; vous saisissez la distance qui les sépare, qui sépare cet artiste juif de tous ses coreligionnaires. Pour Marek Szwarc- et quelle différence d’avec les hallucinations de Soutine, amant du désordre ! – l’art juif est l’Ordre, qui régit les rapports du Créateur avec les créatures. L’art est prière. Faire bien sa tâche en contentant Dieu. Et persuader ses frères. Ne vous disais-je pas que ce Juif rejoint Henry Cochin, George Desvallières, Jacques Maritain ?

Les persécutions ne sauraient abattre l’homme et l’artiste que soutient sa foi.

Son rêve eût été, je le répète, d’être un artisan anonyme, à l’instar des ouvriers qui travaillaient au chantier de la cathédrale.

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L’examen de la technique de Szwarc permettra à mon lecteur de comprendre ce qu’il y a de sain, de dru, de candide chez un artiste qui, d’instinct, répugne aux mièvres élégances, et dont l’art savoureux ne serait qualifié de barbare que par des virtuoses au goût faussé. Szwarc est un batteur de métal, le seul à Paris qui inscrive sur cuivre des figures, des portraits, des nus, des compositions décoratives. D’autres dinandiers ou orfèvres, Lacroix, Jensen, Monod-Herzen, Linossier, Jean Serrières, par exemple, utilisent le cuivre pour le muer en vases, pichets, coupelles, pièces d’usage. Mais Szwarc se souvient qu’il fut en sa prime adolescence peintre et statuaire, et le demeure quand il repousse et dompte la matière ductile.

Métier d’une simplicité antique, outillage traditionnel des chaudronniers d’autrefois, de ces ouvriers qui étaient de si bons artistes, et que nous admirons au Louvre et à Cluny  .

Point d’installation compliquée : un étau, des pointes, le marteau de fer, le maillet de bois. Ecoutez d’ailleurs l’artisan lui-même nous dire comment il procède : « Le cuivre, si aimable à travailler, se transforme alternativement sous l’outil qui le fouille et le feu qui le presse. Le martelage confère à cette matière rigide une souplesse docile qui permet d’y imprimer la forme voulue. La belle feuille mordorée sera d’abord soumise à l’action du marteau d’acier qui précise les lignes générales à l’aide du poinçon. Elle est soumise ensuite au maillet de bois, au marteau de fer qui font disparaitre les inégalités. Pour obtenir les reliefs, la feuille de cuivre est posée sur une surface en bois, tantôt sur une plaque de plomb. Alors intervient le grattoir, qui donne au métal l’impression de la vie. La beauté de la technique se manifeste par le jeu divers des surfaces et des ombres. Ma foi, c’est tout ».

A ce bref exposé, ajoutons ce renseignement : avant de saisir ses outils, Szwarc dessine sa préparation d’après le modèle, en quelques traits nerveux et concis, sur une feuille de papier. Ce que l’artiste, d’une si humble modestie, ne dit pas au sujet de ce rude travail du métal, un des écrivains qui préfacèrent, il y a plusieurs années, une exposition parisienne de Szwarc et Henri Hertz, l’énonce excellemment : « Marek Szwarc a entrepris de sauver la sculpture sur cuivre de l’estampage… «  Voyez-vous, me dit-il, en son atelier qui a l’air de l’annexe d’une maréchalerie ou d’une ferblanterie, installée au-dessous, dont on entend souffler la forge, cela ressemble à l’art du ciseleur, mais aussi, beaucoup, au métier du chaudronnier. »

« C’est vrai : pour rendre à cet art sa liberté et sa puissance, dans la résurrection d’une matière tombée en servage, il faut avoir le courage et l’humilité de revenir aux habitudes du Moyen-Age et de la renaissance, d’être un artisan, d’avoir la peau des mains encrassée par la brutale caresse de la matière que l’on ne quitte pas, avec qui l’on vit et cherche, côte à côte. »

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Redisons maintenant que ses thèmes d’inspiration, les sources où il puise, sont élus exclusivement dans le Livre éternel.

L’âme de ce croyant se nourrit des légendes poignantes ou suaves que lui fournit la Bible. Nul besoin de transposer ; il voit. Il voit « Jacob luttant avec l’ange », « Moïse portant les tables de la Loi », le placide « Issachar », « Eve naissant du corps d’Adam », « Ruth endormie contre le flanc de Booz ». Et ce sera, quand les compositions de l’artiste prendront une plus ample importance décorative, « Loth fuyant Sodome », l’admirable « Job et les Trois Amis », le « Sacrifice d’Abraham », « David et Bethsabée », « David et Goliath », « Samson et Dalila ».  

L’artiste est le contemporain de ces Hébreux de la Genèse et de l’Exode. Quand il les reproduit sur sa plaque de cuivre, il ne vise qu’à traduire leurs souffrances ; les attitudes, le vêtement, le décor peuvent être empruntés à l’humble vie d’aujourd’hui et ne compteront qu’en fonction de l’arabesque des lignes, des plans et des volumes.

Et - c’est ici un point essentiel à observer - Marek Szwarc demeure en cela, bien que formé en partie chez nous et vivant à Paris, le type même de l’artisan juif polonais. Un écrivain d’art de Pologne, M. Edouard Woroniecki, étudiant les origines de l’art de Szwarc, après avoir noté ce qu’il peut devoir immédiatement à l’enseignement polonais (en l’espèce à l’Ecole des Métiers de Lodz, et aux brèves leçons de M.Laszczka, sculpteur professant il y a une quinzaine d’années à l’académie des Beaux-Arts de Cracovie), retrouve chez Szwarc une réminiscence du réalisme puissant du maître médiéval Wit Stwosz. « L’artiste, dit M. Woroniecki, aime profondément sa patrie. L’idée de transposer ses personnages sous une forme soi-disant historique lui reste entièrement étrangère. Les scènes bibliques, il les place dans leur entourage familier. Ce sont les Juifs polonais de province avec leur vêtements caractéristiques qui, fêtant les Pâques, glanent des épis avec Ruth, se font musiciens ou apôtres, ou aident à descendre de la croix le corps de Jésus-Christ. Le christianisme, en effet, paraît à Marek Szwarc le complément naturel de la foi mosaïque. Ce mysticisme assez particulier est large et tolérant. Il ne s’inspire nullement de l’étroit fanatisme du Talmud ».

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Telle est, résumée trop succinctement, la pensée de Marek Szwarc. Son art, qui plonge ses racines dans le passé des ghettos et dont l’accent émeut comme les chants anciens de la synagogue de Wilna, est un retour à l’imagerie populaire. Et quelque paradoxal que cela puisse paraître, cette manière âpre, ce style sévère, d’une naïveté « peuple », sont profondément d’accord avec ce que l’art le plus moderniste apporte à nos regards ; par la vertu de ses concepts poétiques, de son exécution ferme et large, par le sens des ordonnances cadencées, par le graphisme aigu écrit en vue de la matière et que commande cette matière même, il se trouve que Marek Szwarc est en harmonie avec les plus  audacieux novateurs de l’heure présente, qui vont à lui et le tiennent pour un maître.

Cet exemple unique déterminera-t-il une reconnaissance de l’art juif, tel que le conçoit cet austère et tendre artisan ? Verrons-nous des ateliers d’art sacré d’Israël comparables aux ateliers de l’opulent et docte Maurice Denis ? Je ne sais, et les premières pages du présent essai laissent entrevoir la réponse qu’on pourrait offrir à cette question. Toujours est-il que Marek Szwarc n’a d’autre ambition que de mener son œuvre à bien ; nul souci de propagande ou de prosélytisme. S’il est un précurseur, il le sera sans l’avoir voulu.

Louis VAUXCELLES

Texts: Louis Vauxcelles, French

Louis Vauxcelles, English translation

Meyer Levin

 

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